Ismail Taspinar
Ismail Taspinar

Introduction

Bien que le sujet de la création soit expliqué de manières relativement différentes dans les religions; les questions de la fin et de but de l’humanité sont celles qui distinguent les religions les unes des autres et révèlent leurs propres caractéristiques. Dans l’Islam, qui peut être brièvement décrit comme le dévouement de l’homme à Dieu, le but ultime de l’homme est d’obtenir le consentement de Dieu. Ainsi, le seul espoir des croyants est d’obtenir le consentement (rizâ) et par conséquence l’amour (hub) d’Allah. Cependant, les moyens d’obtenir un tel consentement diffèrent selon la compréhension et l’interprétation que les musulmans ont de celui-ci. En effet, cela se manifeste dans des formes d’expression très différentes, allant du religieux qui accomplit ses prières quotidiennes au soufi qui vise à atteindre Dieu par diverses voies spirituelles.

Ces différences s’expriment dans l’art islamique, notamment dans l’art d’écrire, à travers l’écriture de différents versets, hadiths, formules religieuses et prières. Alors que le consentement et l’amour d’Allah ne peuvent être obtenu sans Sa miséricorde. Il incombe au croyant de faire le nécessaire pour chercher et trouver les moyens de L’approcher. Chacun de Ses noms sont considérés comme un moyen pour obtenir Son consentement et Son amour. Ainsi, Dieu s’offre à l’homme au travers de Ses noms pour lui permettre de L’approcher. C’est en comprenant le rapport de la Création au Créateur qu’on peut saisir la conception de l’homme, son cheminement et le sens de sa vie dans la tradition islamique.1

C’est pour cela que l’art n’est pas une manière d’écrire ou de peindre mais avant tout une manière d’exister. Tout art véritable nous sommes de poser la question concernant le sens de notre vie.2 Le calligraphe est celui qui qui écrit et l’exprime par son art.

Selon Oleg Grabar, l’écriture est un mode intermédiaire au double niveau de la création et de la perception, un mode qui oriente l’intellect ou les émotions vers un grand éventail d’interprétations. Selon lui, la place crutial de l’écriture dans la vie sociale des musulmans tient à la nature transitoire de la vie dans l’éthique musulmane traditionnelle et au pouvoir médiateur de la communauté, qui prépare à une autre vie, la seule et la vraie vie. L’importance de leur rôle de médiateur entre plusieurs vies ou niveau d’existence: celle d’ici-bas et la vie éternelle, la vie de l’homme ordinaire et de l’homme mystique. À ce niveau, en utilisant les mots de Grabar, on peut dire que l’écriture devient art, et l’on peut parler de calligraphie, puisque la réalisation du plaisir comme de l’espérance est une composante essentielle de cette expérience.3

1. La Dialectique entre l’Homme et Dieu: Crainte et Espérance

La relation entre l’homme croyant et Dieu est une relation de crainte (havf) et espérance (redjâ).’ Le croyant doit toujours s’efforcer d’être digne de son Créateur. Il doit être au service de son Seigneur (Rab). Pour certains, le fruit d’être au service du Seigneur peut être l’espérance d’être l’héritier du jardin des délices qui est le Paradis. L’espérance tant attendue comme récompense et la crainte de ne pas la recevoir. Pour d’autres, c’est la béatitude et l’amour de Dieu qui sont l’espérance par exellence. Cette dialectique est résumée par la formule de relation ‘entre crainte (havf) et espérance (redjâ).’ Peu importe ce que nous attendons de Dieu, nous devons croire qu’Il ​​sera miséricordieux envers nous et ne devons pas être désespéré. Cette confiance que doit avoir le croyant a fait l’objet de nombreuses belles calligraphies. La plus célèbre d’entre elles est le verset suivant du Coran: ‘Ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu’4

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‘Ne désespérez pas de la miséricorde de Dieu’
(Lâ taknadû min Ramatillâh)5

Abandonner l’espoir dans la miséricorde de Dieu n’est pas un sentiment qui sied aux croyants. En effet, ces derniers espèrent que Dieu pardonnera leurs péchés, aussi graves soient-ils. Le Coran raconte l’histoire du prophète Joseph dans laquelle il nous rappelle les conseils que Jacob a donné à ses fils. Jacob croit que Dieu l’aidera à trouver son fils Joseph. C’est pourquoi il a prononcé les mots suivants qui apparaîtront sur de nombreux tableaux calligraphiques: ‘Ce sont seulement les gens mécréants qui désespèrent de la miséricorde de Dieu.’6

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‘Ce sont seulement les gens mécréants qui désespèrent de la miséricorde de Dieu.’
(Innehû lâ yey’esu min ravhillâhi illa’l-kavmi’l-kâfirûn)

Comme toute la vie et ses concéquences sont sous l’ordre générale de Dieu, notre santé aussi dépend de sa Miséricorde envers nous. Le croyant qui devient malade, n’a personne d’autre à part Dieu pour demander le rétablissement de sa santé. Alors, toute son espérance de préserver sa santé est résumée par la récitation du nom de Dieu qui sera répétée pendant sa maladie en disant ‘Yâ Châfî!’ (Ô, Celui qui donne la santé!) et ‘Yâ Hâfiz’ (Ô, le Protecteur!) le préserve de toute les maladies.

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‘Ô, le Protecteur!’ (Yâ Hâfiz)

Comme le précise bien Roger de Pasquier, les inscriptions coraniques qui se trouvent dans les mosquées, les maisons ordinaires et les édifices religieux comme les tombeaux sont certes destinés a être lus et comprises, mais on peut dire paradoxalement que là n’est pas forcément leur pricipale fonction. Ces ornements assurent le rappel et la présence de la Parole de Dieu, et leur beauté accompagne leur intelligibilité. De ce point de vue, le croyant musulman est invité à être toujours dans l’espoir que Dieu ne le quittera jamais. C’est la raison pour laquelle il croit que s’il travaille et s’efforce sans tomber dans le désespoir, il réussira certainement. Ce sentiment s’exprime mieux dans cette magnifique parole qui orne de nombreux foyers et lieux de travail: ‘Avec l’assistance de Dieu, le succès viendra. Annonce cette bonne nouvelle aux croyants.’7

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‘Avec l’assistance de Dieu le succès viendra.
Annonce cette bonne nouvelle aux croyants’
(Nasrun minallâhi ve fethun karîb. Ve bechchiril müminin)

Pour le croyant, la mort n’est pas une fin mais le début d’une nouvelle vie. L’homme est une créature de Dieu. Allah déclare dans le Coran que les gens auront une nouvelle vie après la mort. Par conséquent, un croyant ne considère pas la mort comme un événement où tout se termine. Au contraire, il l’accepte comme le début d’une nouvelle vie avec une espérance qu’Allah lui pardonnera. Cette espérance de ‘retour à Dieu qui nous a créé au commencement’ est indiqué dans le verset par une formule utilisée dans plusieurs calligraphies: ‘Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons.’1 Cette parole qui est au coeur de la vie des croyants et qui nous rappelle le caractère éphémère de la vie, se trouve aussi comme inscription brodée sur le tissu du cercueil.

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‘Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons.’ (Innâ lillâhi ve innâ ileyhi râjiûn)

2. L’Espérance de l’Amour de Dieu

Tout les grands mystiques et les inspirés du divin ont témoigné que l’art est le langage du sacré. C’est-à-dire, toute tentative de parler de Dieu et surtout de l’amour de Dieu, ne peut se faire qu’à travers l’art. Pour le mystique musulman, l’amour de Dieu est l’objectif ultime à atteindre. Selon les soufis, se rapprocher de Dieu et gagner son amour n’est possible qu’en mentionnant son nom et en le répétant à diverses occasions. Ainsi, dans le texte coranique il y a plusieurs passages qui mentionnent le fondement même de l’invocation de Dieu par ses Noms excellents:1 ‘Les cœurs trouvent la paix qu’en invoquant le nom d’Allah’2; ‘À Allah appartient les noms excellents.

Invoquez-Le par eux’;3 ‘Invoquez Allah ou invoquez le Tout Miséricordieux. Quelque soit celui que vous invoquez, à Lui sont le Noms excellents’;4 ‘C’est Lui Allah. Nulle divinité autre que Lui, le Connaisseur (el-Âlim) de l’Invisible tout comme du visible. C’est Lui, le Tout Miséricordieux (er-Rahmân), le Très Miséricordieux (er-Rahîm). C’est Lui, Allah. Nulle divinité autre que Lui; Le Souverain (el-Melik), Le Pur (el-Quddûs), L’Apaisant (es-Selâm), Le Rassurant (el-Munin), Le Prédominant (el-Muheymin), Le Tout Puissant (el-Azîz), Le Contraignant (el-Jabbâr), L’Orgueilleux (el-Mutekebbir). Gloire à Allah ! Il transcende ceux qu’ils Lui associent. C’est Lui Allah, le Créateur (el-Hâliq), Celui qui donne un commencement à toute chose (el-Bâriu), le Formateur (el-Musavvir). A Lui les plus beaux noms. Tout ce qui est dans les cieux et la terre Le glorifie. Et c’est Lui le Puissant (el-Azîz), le Sage (el-Hakîm).’

Ainsi, c’est justement pour cette raison que les murs des maisons des croyants et des loges des derviches (dergah, tekke), les lieux où se tient l’assemblée des mystiques musulmans sont décorés des tableaux de calligraphies composés des versets et des paroles du Prophète qui leur rappellent l’invocation et la répétition des noms d’Allah.

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‘Les cœurs trouvent la paix qu’en invoquant le nom d’Allah.’13 (Elâ bizikrillâhi tadmainnul kulûb)

La connaisance de soi est la démarche la plus importante sur le chemin de la perfection. C’est la reconnaisance de l’être humain de sa pauvreté, de son imperfection et de sa dépendance qui va lui procurer la connaisance de son Seigneur. Cette espérance est formulée par la parole de Prophète et écrite comme calligraphie par plusieurs artistes: ‘Celui qui connaît soi-même, connaît son Seigneur’ (Men arafe nefsehoû fekad arafe Rabbehoû). En effet, le mystique qui est le microcosme est en réalite le macrocosme et le miroir de la divinité: ‘Cest pourquoi en apparence tu es le microcosme, c’est pourqoui en réalité tu es le macrocosme.’1

Le mausolée du grand maître soufi Mawlânâ Djalâleddîn Rûmî avec sa coupole, le « dôme vert », de forme conique, recouvert de tuiles émaillées, éclaire la cité de Konya par son éclat mystique. Une somptueuse couverture est posée sur son tombeau. Les broderies d’or qui se trouvent sur le tombeau sont enrichies de versets du Coran. Le plafond du masolée est garni par de prodigieuses sculptures et des lampes pendantes. D’admirables manuscrits du Mathnawî et du Qor’ân richement enluminés font partie de cette enceinte sacré. Dans la cour quadrangulaire qui est au centre du complex, où se trouvent des cellules rangées les unes à côté des autres, avec de petites coupoles au-dessus, était le ‘monastère’ (tekke, dergah) où vivaeint les derviches.

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Le mausolée de Mawlânâ Djalâleddîn Rûmî et le dergah (tekke, ‘monastère’) des dervices mawlavîs à Konya, Turquie

Sur le fronton, à l’entrée du complex où se trouve le mausolée, on peut lire le verset du Maître qui lance son appel universel à l’espoir:
‘Viens, qui que tu sois, croyant ou incroyant, viens; c’est ici la demeure de l’espoir.’1
Et de conclure, par sa perception de l’Homme parfait qui est le miroir de la Divinité, où se reflètent Ses Attributs, comme cause finale de l’univers et espoir du Créateur:
‘C’est pourquoi en apparence tu es le microcosme, c’est pourquoi en réalité tu es le macrocosme.
Du point de vue de l’apparence, la branche est l’origine du fruit; mais en réalité la branche est venue à l’existence en vue du fruit.
S’il n’y avait eu un désir et un espoir pour le fruit, comment le jardinier aurait-il planté la racine de l’arbre ?’

(Mathnawî, IV, p. 521)

Bibliographie
De Vitray-Meyerovitch E., Universalité de l’Islam, Paris 2014.
Id., Thèmes Mystiques dans l’Oeuvre de Djalâl-ud-dîn Rûmî, Paris 1968.
Du Pasquier R., Découverte de l’Islam, Paris 1988.
Garaudy R., Pour un Dialogue des Civilisations, Paris 1977.
Garaudy R., Vers une Guerre de Religion? Le Débat du Siècle, Paris 1995.
Gimaret D., Les Noms Divins en Islam, Paris 1988.
Gloton M., Les 99 Noms d’Allâh, Beyrouth 2007.
Grabar O., L’Ornement, Formes et Fonctions dans l’Art Islamique, Paris 2013.
Ramadan t., De l’Islam, Paris 2002.
Sourdel J – Sourdel D., Dictionnaire Historique de l’Islam, Paris 1996.


NOTE

1 T. Ramadan, De l’Islam, Paris 2002, p. 20-21.
2 R. Garaudy, Pour un Dialogue des Civilisations, Paris 1977, p.136-141; id., Vers une Guerre de Religion? Le Débat du Siècle, Paris 1995, p. 118-119.
3 O. Grabar, L’Ornement, Formes et Fonctions dans l’Art Islamique, Paris 2013, pp. 155-159.
4 Sourate Zumer (Troupes), 39/53.
5 Pour les calligraphies utilisé dans notre travail, je remercie notre cher ami Muhammet Efdaluddin Kilic qui m’a permi de les utiliser.
6 Sourate Yousouf (Joseph), 12/87.
7 Sourate Saff (L’Ordre), 61/13.
8 Sourate Bakara (La Vache), 2/156.
9 M. Gloton, Les 99 Noms d’Allâh, Beyrouth 2007, p. 7.
10 Sourate Ra’d, 13/29.
11 Sourate 7/180.
12 Sourate 17/110.
13 Sourate Ra’d, 13/29.
14 E. De Vitray-Meyerovitch, Thèmes Mystiques dans l’Oeuvre de Djalâl-ud-dîn Rûmî, Paris 1968, pp. 272, 251-271.
15 E. De Vitray-Meyerovitch, Universalité de l’Islam, Paris 2014, p. 162.